Par Jasmin Zine | –
Le 29 janvier 2017, six hommes musulmans ont été abattus dans une mosquée de Québec. Un terroriste nationaliste blanc armé s’est livré à une fusillade au Centre culturel islamique de Sainte-Foy, au Québec, juste après la prière du soir. Il s’agit du pire meurtre de masse commis dans un lieu de culte de l’histoire du Canada.
Un propriétaire d’épicerie halal, un professeur à l’Université Laval, trois fonctionnaires et un employé en pharmacie ont été tués par Alexandre Bissonnette. Ces hommes venaient à l’origine du Maroc, d’Algérie et de Guinée. Les victimes du meurtre étaient: Ibrahima Barry, 39 ans; Mamadou Tanou Barry, 42 ans; Khaled Belkacemi, 60 ans; Aboubaker Thabti, 44 ans; Abdelkrim Hassane, 41 ans; et Azzedine Soufiane; 57. Dix-neuf autres fidèles ont été blessés, dont Aymen Derbali, paralysé pour tenter d’arrêter Bissonnette.
Le gouvernement fédéral a maintenant annoncé que le 29 janvier deviendrait une journée nationale du souvenir pour les victimes de l’attaque de la mosquée et qu’il serait utilisé pour promouvoir l’action contre l’islamophobie.
Bissonnette avait parcouru des sites Web liés aux idéologues nationalistes blancs. Il a également effectué plus de 800 recherches en ligne sur le président américain Donald Trump. Bissonnette a par la suite avoué à la police qu’il avait été motivé par le message de bienvenue du premier ministre Justin Trudeau aux réfugiés à la suite de l’interdiction de voyager de Trump dans sept pays à majorité musulmane.
Bissonnette a été condamné à 40 ans sans libération conditionnelle. La sentence a provoqué la colère de la communauté musulmane du Québec, qui a demandé une peine plus sévère. La Cour d’appel du Québec a récemment statué que la peine de Bissonnette violait la Charte canadienne des droits et libertés et le soumettrait à une peine «cruelle et inusitée». Il sera désormais admissible à la libération conditionnelle dans 25 ans.
La décision du tribunal a donné la priorité aux droits de l’agresseur plutôt qu’à la justice pour les victimes, ajoutant une insulte supplémentaire aux blessures.
Amnésie nationale
Le documentaire «La mosquée: la lutte d’une communauté» raconte les histoires des survivants, des familles des victimes et de la communauté locale. Certaines des personnes interrogées ont dit qu’elles se sentaient «oubliées», en particulier par le gouvernement et les politiciens, à la suite de cette tragédie. Cet acte de violence sans précédent est devenu la proie de l’oubli volontaire et de l’amnésie nationale plutôt que de faire partie de notre mémoire collective et de notre commémoration en tant que nation.
À l’aide du hashtag # IRememberJanuary29, le Forum musulman canadien (FMC-CMF) et les Canadiens pour la paix et la justice au Moyen-Orient (CJPMO) ont lancé une campagne pour que le gouvernement fédéral reconnaisse le 29 janvier comme une journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie et d’autres formes de discrimination religieuse. En outre, plus de 70 organisations musulmanes et des dizaines de partenaires communautaires ont appelé le gouvernement fédéral à commémorer l’attaque.
Le premier ministre du Québec, François Legault, a rejeté une proposition visant à déclarer le 29 janvier une journée d’action contre l’islamophobie, affirmant qu’il n’y avait «pas d’islamophobie au Québec». Il a ensuite fait marche arrière en qualifiant que la discrimination existe mais n’est pas répandue. Selon Statistique Canada, les crimes haineux contre les musulmans au Québec ont triplé pour atteindre 117 en 2017, contre 41 en 2016.
L’imam montréalais Hassan Guillet a qualifié les propos de Legault de «cécité volontaire». Le déni délibéré de l’islamophobie et du racisme anti-musulman sécurise et entretient cette amnésie nationale entourant le massacre de la mosquée de Québec.
Le Canada a officiellement désigné le 6 décembre la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes pour commémorer les meurtres de 14 jeunes femmes à Polytechnique Montréal le 6 décembre 1989. Cette journée est devenue un élément important de notre mémoire collective en tant que nation.
Islamophobie canadienne
Il a fallu quatre ans au gouvernement fédéral pour commémorer cette tragédie et lutter contre l’islamophobie qui y a conduit.
Le manque de soutien pour commémorer le massacre de la mosquée a été souligné par les attitudes négatives du public envers les musulmans canadiens. Un sondage de 2017 a révélé que 46% des Canadiens avaient une opinion défavorable de l’islam par rapport aux autres religions.
Un sondage de Radio-Canada qui a coïncidé avec l’attaque de la mosquée a révélé que 23% des Canadiens étaient en faveur d’une interdiction de l’immigration musulmane. Le niveau de soutien est passé à 32% au Québec.
Au lendemain de l’attaque de la mosquée de Québec, la députée libérale Iqra Khalid a déposé la motion 103, appelant le gouvernement à lutter contre le racisme systémique et la discrimination religieuse. Cette proposition s’est heurtée à une rhétorique islamophobe virulente et à la haine. Un comité parlementaire a tenu des audiences sur la motion et a rédigé un rapport en réponse.
Le rapport formule 30 recommandations, dont seulement deux font référence à l’islamophobie. Le rapport a recommandé une journée nationale du souvenir, mais il reste largement silencieux sur les actions spécifiques contre le racisme anti-musulman. Un sondage de 2018 a révélé que plus de la moitié des Canadiens reconnaissent que l’islamophobie est «un problème de plus en plus inquiétant au Canada». Soixante pour cent ont convenu que le gouvernement «doit prendre des mesures pour lutter contre l’islamophobie» au Canada.
L’an dernier, la ville de Québec a inauguré un mémorial intitulé «Vivre Ensemble» en l’honneur des victimes de la fusillade dans la mosquée. Le monument, situé près du Centre culturel islamique de Québec dans le quartier Ste-Foy de la ville, comprend les noms des six hommes assassinés et est orné de feuilles d’aluminium aux motifs complexes inspirés de leur pays d’origine.
Cet hommage poignant est un lieu important de guérison et de réflexion sur cette tragédie et l’islamophobie qui y a conduit.
La commémoration du massacre de la mosquée de Québec par une journée nationale du souvenir permet de ne pas oublier les vies perdues et les communautés touchées par cette violence.
Jasmin Zine, professeur de sociologie, Université Wilfrid Laurier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lisez l’article original.
Il s’agit d’une version corrigée d’une histoire publiée à l’origine le 28 janvier 2021. L’histoire précédente parlait de Laval au lieu de Sainte-Foy.
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CityNews Toronto: «Anniversaire de l’attaque de la mosquée de Québec»